- HELMHOLTZ (H. L. F. von)
- HELMHOLTZ (H. L. F. von)Il n’est guère de domaines des sciences de la nature auxquels Helmholtz n’ait consacré quelque recherche. On pourrait répéter à son endroit ce qu’il disait lui-même de Friedrich von Humboldt dans sa célèbre conférence inaugurale du colloque scientifique d’Innsbruck (Sur le but et les progrès de la science de la Nature , 1869): «Il avait réussi à dominer toutes les sciences de la nature à son époque et à pénétrer jusqu’en chacune de leurs spécialités.» Même si Helmholtz ajoute que dans la seconde moitié du XIXe siècle ce savoir encyclopédique est désormais impossible, et qu’il faut se résigner à besogner dans un secteur étroitement délimité, il suffit de jeter un regard sur l’ensemble de ses travaux pour constater qu’il s’est préoccupé de matières aussi différentes que la thermodynamique, l’hydrodynamique, l’électrodynamique et la théorie de l’électricité, la physique météorologique, la physiologie, et plus particulièrement la théorie de l’acoustique et l’optique physiologique. Pourvu de dons remarquables pour la vulgarisation des résultats scientifiques les plus récents, il écrivit de nombreux articles et prononça maintes conférences où les exposés scientifiques «populaires» voisinent avec des préoccupations esthétiques ou philosophiques.Son nom reste surtout attaché à la formulation du principe de la conservation de l’énergie, qui fait de lui l’un des pères de l’énergétique, même si certaines de ses assertions peuvent sembler d’un mécanisme intransigeant et ont pu le faire considérer par certains comme le dernier tenant de la physique «galiléenne». Son nom est lié également à quelques inventions notoires comme celle de l’ophtalmoscope ou des résonateurs sphériques.La vie et la carrière de HelmholtzHermann von Helmholtz est né à Potsdam. Fils d’un professeur de «gymnase», il reçut une solide formation secondaire pendant laquelle s’affirma peu à peu son intention de se consacrer aux sciences de la nature. À cet effet, et sur les conseils de son père, il prépara et réussit brillamment le concours d’entrée à l’école des médecins militaires prussiens, l’institut Friedrich-Wilhelm. À sa sortie, après avoir soutenu sa thèse de doctorat, il fut nommé médecin militaire dans sa ville natale. Les obligations de la routine militaire lui laissant beaucoup de temps libre, il le consacra à l’approfondissement de ses recherches physiologiques et physiques, ce qui lui permit, après un bref séjour à Berlin où il enseigna l’anatomie, d’obtenir en 1849 le poste de professeur de physiologie à l’université de Königsberg. Sa thèse d’habilitation lui valut en 1851 le titre de professeur ordinaire, et, en 1855, il était nommé à Bonn, où il demeura jusqu’en 1858, date à laquelle on lui attribua la chaire de physiologie à Heidelberg. Sa renommée de physicien ne fit alors que croître et l’on créa pour lui une chaire de physique à l’université de Berlin. Il occupa ce poste jusqu’à sa mort survenue à Charlottenburg (près de Berlin), où il assumait depuis 1887 les tâches de président de l’institut physico-technique.Conservation de l’énergieLa variété des préoccupations de Helmholtz ne doit pas pour autant en masquer l’unité profonde, qui apparaît d’une façon éclatante dans le surprenant ouvrage qu’il lut à la Société berlinoise de physique, le 23 juillet 1847. Son mémoire Sur la conservation de la force fut néanmoins accueilli avec une réticence dont l’auteur s’étonna toujours, et dont le signe le plus manifeste fut le refus, par J. C. Poggendorff, de le publier dans ses Annalen . L’œuvre présentait une audacieuse démonstration de l’application à l’ensemble de l’univers physique d’une loi dont la validité lui paraissait évidente depuis sa jeunesse et qui allait devenir l’un des principes fondamentaux de la thermodynamique. Le mémoire jetait ainsi les bases de cette jeune science dont les recherches de N. L. Sadi Carnot, développées par E. Clapeyron, avaient constitué l’acte de naissance, et à laquelle les expériences de V. Regnault en France, J. P. Joule en Angleterre et les géniales intuitions du médecin J. R. von Mayer en Allemagne promettaient un rapide essor. À tous ces précurseurs connus ou inconnus lors de la rédaction de son mémoire, Helmholtz rendra justice, ne prétendant à aucune priorité sinon celle d’une formulation mathématique rigoureuse et complète. Le principe de la conservation de l’énergie, qu’il appelle «principe de conservation de la force», y apparaît en effet dans sa pureté: la somme des Spannkräfte , que l’on traduira plus tard après W. J. M. Rankine par «énergie potentielle», et des forces vives est toujours constante. Helmholtz montre qu’on peut appliquer le principe mécanique aux phénomènes électriques, électromagnétiques, de même qu’aux chocs de corps inélastiques et au frottement, pour lesquels on se demandait jusqu’alors s’il n’y avait pas perte absolue de force, et dans lesquels intervient la transformation de travail en chaleur. Dans la brève conclusion se trouve posé le problème de l’application de ce principe aux sciences biologiques, qui, en réalité, motivait la carrière de Helmholtz. S’il reconnaît en 1847 l’insuffisance de ses expériences en ce domaine, il demeure néanmoins convaincu de l’universelle validité du postulat philosophique exprimé dans son introduction, et qui l’a fait taxer par Albert Einstein lui-même de mécaniste intransigeant: «[...] Finalement le problème des sciences physiques consiste à ramener tous les phénomènes naturels à des forces invariables, attractives et répulsives, dont l’intensité dépend de la distance des centres d’action. La possibilité de comprendre parfaitement la Nature est subordonnée à la solution de ce problème...»; cette formule, en voulant exposer le principe de constance de la force, a le désavantage d’en voiler le caractère épistémologique révolutionnaire. Aussi les conflits entre énergétistes et mécanistes dans la seconde moitié du siècle naîtront-ils de ce malentendu.Sur la fin de sa vie, Helmholtz reconnaîtra l’importance et l’universalité d’un autre principe physique, le principe de moindre action, qu’il appliquera, en particulier, à l’électrodynamique.PhysiologieC’est bien le désir de s’opposer aux réminiscences vitalistes de ses maîtres en biologie comme J. Müller, autant que la volonté d’approfondir la question du perpetuum mobile à l’arrière-plan, qui, de son propre aveu, guida Helmholtz dans ses premiers travaux de physiologie. Son mémoire de 1845 sur la consommation de matière dans l’action musculaire (Über die Stoffverbräuche in der Muskelaktion ) rend compte d’études expérimentales sur la notion de chaleur animale par l’analyse de la respiration et de la digestion. C’est sous cet angle également qu’il faut considérer les travaux qui font de lui le père de la neurophysiologie. Il en a établi la base histologique en découvrant au microscope la relation entre cellules et fibres nerveuses, qui fait l’objet de sa thèse de doctorat en médecine: De fabrica systematis nervosi evertebratorum . En 1852, après trois années de recherches, il mit au point une méthode pour calculer la vitesse de propagation de l’influx nerveux, ce qui lui vaudra pour la première fois la considération de l’Académie de Paris.Ces préoccupations, liées à ses convictions empiristes, l’amenèrent à s’intéresser à l’analyse des faits de perception. Sa thèse d’habilitation porte déjà pour titre: Über die Natur der menschlichen Sinnesempfindungen (Sur la nature des sensations humaines ). Ce domaine se trouvait au croisement de plusieurs disciplines et l’on comprend que la multiplicité de ses talents lui permit d’y exceller. En inventant en 1852 l’ophtalmoscope, il fit faire de remarquables progrès à la thérapeutique de l’œil et se donna par ailleurs les moyens expérimentaux de développer l’«optique physiologique»; l’ouvrage qui porte ce titre et qu’il publia à partir de 1856 est sans doute la base de cette discipline. Calculant à l’aide de l’ophtalmomètre les différents rayons de courbure des membranes de l’œil, il clarifia les intuitions de J. Scheiner sur le phénomène de l’accommodation, expliqua la vision binoculaire et, surtout, discuta les problèmes de la vision colorée. Sous ce rapport, en opposition avec la théorie de sir David Brewster, il redécouvrit et développa les théories de Thomas Young supposant trois couleurs fondamentales: le rouge, le vert et le violet, correspondant à trois sortes de terminaisons nerveuses. Il montra d’abord que le mélange de matières colorantes donnait tout autre chose que la composition de la lumière colorée; en particulier le bleu mélangé au jaune ne donne pas du vert, mais plutôt un blanc légèrement verdi, ce qui faisait rejeter le jaune comme deuxième couleur fondamentale. De ces analyses physiologiques il tirera très vite des conséquences sur la théorie de la connaissance; entre autres que «la lumière et les sensations de couleurs sont seulement des symboles pour désigner des rapports réels».AcoustiqueSa contribution à la théorie de l’acoustique est remarquable tant du point de vue physique que biologique. Selon une démarche analogue à celle qu’il suit en optique, il s’efforce, dans sa Théorie des sensations de son (1863), d’abord de montrer comment le son parvient jusqu’aux nerfs sensitifs, admettant qu’une fibre de Corti ne vibre pas seule mais que les fibres voisines vibrent également, et que la perception de la hauteur du son dans l’oreille est due à l’intensité de cette vibration simultanée. Il traite ensuite des excitations nerveuses correspondant aux diverses sensations, des phénomènes de consonance et de dissonance. Cela l’amène naturellement, comme l’indique la fin du titre de son ouvrage Théorie [...] comme fondement physiologique pour la théorie de la musique , à aborder le domaine de l’esthétique musicale, où les rapports entre la physiologie et le sens artistique lui semblent beaucoup plus évidents que partout ailleurs. La construction d’une série de résonateurs à air de forme sphérique ou cylindrique, qui serviront à K. König pour fabriquer son analyseur du son, lui permet d’approfondir les phénomènes de résonance, pour lesquels il donne la preuve de l’influence de l’amortissement, et d’étudier le mode de production de la voix humaine. Il montre, en particulier, que les différentes voyelles sont caractérisées par des hauteurs de ton déterminées, et que le timbre est produit par l’émission simultanée des harmoniques (Die Lehre der Klangempfindungen , Théorie des sensations de timbre ).Dans la ligne de ses recherches sur la conservation de l’énergie, Helmholtz fut amené à traiter de problèmes très importants d’hydrodynamique tels que les intégrales des équations correspondant aux mouvements tourbillonnaires , qui lui valurent une longue polémique avec le mathématicien français J. Bertrand, et, surtout, il en vint à discuter, puis à défendre les théories de Maxwell en Allemagne.
Encyclopédie Universelle. 2012.